De Banning à Big Bear
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Environ 90km nous séparent de Big Bear Lake.Le premier objectif est de quitter la vallée, cet immense couloir de vent qui a hurlé tout autour de nous depuis deux jours. Mon sac menace de déborder. Nous avons prévu 4 jours, ce qui est largement suffisant, et encore une fois, j’ai sur moi de la nourriture pour 6 au moins et des bonbons pour 18.
Les buissons du chaparal, cette végétation sèche typique de la Californie, font des petits coussins entre lequel serpente le trail. Devant moi les autres semblent s’enfoncer sur des bulles dorées. Notre premier arrêt, et le pique-nique sont prévu près d’une rivière, à une quinzaine de kilomètres. Des dizaines de petites graines s’accrochent dans nos chaussettes et nos poils.
Quand nous marchons, notre petit groupe a des rythmes assez diffèrent : je suis assez rapide, surtout dans les montée mais je m’arrête souvent pour faire des vidéos. Kiki est plus lente notamment dans les montées et nous passons notre temps à nous dépasser. Idaho lui fait des repas toute les deux heures. Chacun dans le groupe chemine à son propre rythme, et nous nous rejoignons aux repères prédéterminés. Le chemin faisant 50cm de large, la seule façon de perdre les autres est de les dépasser pendant qu’ils sont cachés pour aller aux toilettes, et de marcher trop loin.
A midi, Alex et Nick se baignent dans la rivière, moi je me sens toujours propre alors je trempe juste mes pieds. Kiki, Janick et moi mangeons sous l’ombre de nos parapluies réfléchissants. Kelsey, qui n’était pas avec nous à Banning, ne nous a pas rejoint.
Nous franchissons quelques collines puis nous arrivons à Mission Creek : nous allons suivre cette rivière tout le reste de la journée, et une partie du lendemain. Kelsey ne nous a pas rejoint, et les filles à grand renfort de bâtons, lui laissent un message sur le sol.
Le suivi de la rivière est difficile dans l’après-midi : en raison d’une crue l’hiver passé, une partie du chemin et des balises ont été emportés. Mission creek porte bien son nom : arriver au camp est une épreuve. Le trail passe sans prévenir d’un coté à l’autre de la crique, à travers des buissons qui ressemblent terriblement à des « buissons caniches », les terribles poodle dog bushes qui menacent d’empoisonner notre épiderme au moindre contact. Mais de toute façon, à un moment ou à un autre, nous avons tous du nous y frotter : les berges de la rivière sont souvent abruptes, glaiseuses, et l’escalade nous propulse dans les plantes. Idaho se retrouve la tête la première et en ressort traumatisé. Nous n’apprendrons que plus tard qu’il ne s’agissait que d’une simple sauge.
Nous croisons de nouveaux le groupe de jeunes, que nous avons surnommés les « zoomers », et la bien nommée Livie, toujours vivante, mais sans ongle sur son gros orteil. Elle a fait plus de 40 km par jour pour retrouver ses compagnons. Je l’avais mal jugée. D’ailleurs aujourd’hui ils vont aller plus loin que nous. Cons de jeunes !
Nous perdons Nick après le déjeuner et le soir, nous poursuivons un peu plus longtemps que voulu à sa recherche. En fait il a décidé d’accélérer le mouvement, sans vraiment nous prévenir. Tant pis, nous le retrouverons à la prochaine ville.
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Notre spot de bivouac est un peu surélevé par rapport à la rivière, en dessous d’une falaise. Nous mangeons, puis nous nous endormons. La météo de mon GPS a dit que la température minimale serait de 7°c, je devrais donc être très confortable. Pourtant dans la nuit, je me réveille glacé. Je ne veux pas y croire, la température devant être clémente. Je résiste, je m’agite, je me tourne d’un coté à l’autre, je tente de me persuader que je n’ai pas froid. Je refuse de mettre ma polaire, je la réserve pour les températures en dessous de 0°C. Il faut que je m’endurcisse, non ?
Au milieu de la nuit, je n’y tiens plus et je mets tous les vêtements que je possède. Le lendemain nous nous rendons compte qu’il a gelé, suffisamment pour que l’eau dans nos bouteilles soient glacées. Heureusement je dors toujours avec mon filtre à eau dans mon duvet, mais Kiki ne l’a pas fait avec le sien, dont l’efficacité n’est plus garantie. Je lui propose de lui prêter le mien, un dollar par litre filtré. Une affaire.
Le matin est froid, les autres se mettent en route rapidement pour essayer de se réchauffer, et un peu dans l’espoir de retrouver Nick, qui était 4 ou 5km en avance sur nous. Moi je prends ma petite heure habituelle pour manger mon petit déjeuner et je pars à la poursuite des autres. L’épreuve de Mission Creek n’est pas près de s’arrêter ; la rivière est plus large, mais les petits cairn laissés par nos prédécesseurs sont encore plus éloignés les uns des autres : je ne suis jamais sûr d’être sur la bonne berge. Je retrouve enfin Kelsey en filtrant de l’eau. Ensemble nous avançons assez lentement. Nous papotons mais la discussion n’est pas facile, comme avec Kiki ou Alex et nous en sommes bien embarrassés. C’est la première fois que je marche avec quelqu’un en sentant que je la gène, qu’elle me géne, et que nous serions mieux tous seuls.
Nous rejoignons les autres dans une petite vallée, toute brulée. Encore une fois, nous allons devoir dormir à sec, et nous devons emmener la quantité pour toute l’après-midi. Je suis devant les filles. Au détour d’un virage je vois sur le chemin, à quelques dizaines de mètres, des cerfs qui paissent. Je m’arrête et les filles me rattrapent. Nous avons eu une journée fatigante, avec de forts dénivelés, des arbres au milieu de la piste et c’est comme si le trail voulait nous remonter le moral.
Nous montons assez haut sur la montagne San Gorgonio pour revoir de la neige ; Je marche un peu avec Kiki et nous composons notre pizza idéale et notre salade de fruit idéale, mais la conversation nous donne tellement faim que nous sommes obligés de nous interrompre et de nous interdire de parler de nourriture si nous n’arrivons pas en ville. Nous tiendrons cette nouvelle règle pendant 3000km.
Le soir, nous dormons dans un ancien refuge, qui a dû être un refuge charmant dans le passé, mais est désormais une cabane sans fenêtres, couverte de tags et qui sent la souris. Le tout évoque un chalet de film d’horreur et un repère de junkie tout en un.
Le soir, je monte derrière la cabane pour faire un trou de chat, et je suis heureux, avec mes fesses qui gèlent instantanément. Le coucher de soleil n’est pas spectaculaire, mais comme chaque soir, il est beau, il est mérité. Les derniers rayons du soleil illuminent encore San Jacinto, déjà si loin.
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Un peu protégé par la cabane, la nuit se passe bien. Le lendemain, notre projet est d’aller dormir juste avant Big Bear City, notre prochaine étape. Nous redescendons vers la vallée à travers un paysage qui devient plus forestier. Nous voyons nos premiers sycomores. Certains de ces arbres sont réputés pour être les plus vieux êtres vivants sur la planète.
Encore aujourd’hui les sources sont rares, et nous y arrivons à la prochaine un peu après midi, quasiment à sec. Nous mangeons avec Idaho en attendant les autres. Il n’y a pas de difficulté particulière, mais nous sommes impatients d’arriver à Big Bear.
Le soir, nous arrivons à la tombée de la nuit et nous campons moins de 500m avant la route pour Big Bear, tel Hannibal aux portes de Rome. Si nous allions en ville dés maintenant, nous ne pourrions rien faire d’autre que dormir, et nous préférons profiter d’une journée complète en ville demain. Nous ne sommes pas à une demi-journée près pour la douche.
Nick est déjà en ville. Il a prévu de repartir le lendemain. Nous allons le croiser, mais ça y’est, notre petite communauté commence à céder. En même temps je comprends son impatience. Nous vivons chacun notre propre aventure, et il est important d’écouter son propre rythme, d’obéir à sa nature. Il va me manquer, car il a été là jour apres jour, depuis la tempête, comme un grand frère un peu grognon, mais je ne peux qu’être reconnaissant pour les moments que nous avons partagés.
En pratique :
Apres San Jacinto, San Gorgonio wilderness ne présente pas de difficulté : plus basse, moins escarpée, moins de risque de neige. Il convient juste de faire attention à l’eau, surtout entre mission spring Camp et Arrastre camp, ce qui représente moins de 20km.
Le denivelé, sinon n’est pas trop dur, même si quelques montées sont un peu rudes. Trois jours sont largement suffisant pour réaliser cette portion du trail. Il est possible de contourner Big Bear et de redescendre en ville par le cougar trail, mais il faudra remonter les 600m de denivelé positif ensuite pour reprendre au même endroit.