Un marathon pour un MacDonald
J’étais donc resté un jour en retrait à Big Bear, pour passer les fêtes de Pâques, un jour derrière mes amis, mais je n’étais pas mécontent de quitter le confort du groupe pour une petite aventure. Alex Idaho partirait une demi-journée après moi. Je pensais qu’il me serait facile de les rattraper mais je n’avais pas anticipé que même avec seulement 20 kilomètres de retard, quand vous avancez, les autres font de même, et si vous gagnez 5 kilomètres par jours sur eux, cela reste 4 jours de délai.
Cette après midi là en tout cas, j’étais seul et heureux, heureux d’être seul. Un peu comme la chèvre de M. Seguin, la première après-midi s’est passée dans une extase de liberté. Le paysage ressemblait à décor de zoo et me semblait propices à cacher des pumas. Le frisson s’était emparé de moi. J’étais perdu dans la savane, isolé, et je m’enfonçais avec un bonheur renouvelé dans les collines, qui peu à peu se doraient de la lumière du soir. Je croisai deux randonneurs seulement, qui avaient monté leur tente. Un d’eux était Orion, qui ferait peu ou prou tout le trajet en même temps que moi.
Moi je continuai un peu plus loin jusqu’à une petite rivière. Le soleil couchant rasait les buissons, transformant les feuilles en petite lanternes verte et dorées. Il était rare que je marchasse aussi tard car d’habitude, nous commencions notre journée tôt et nous nous arrêtions en fin d’après-midi. Pour une fois, je vis le soleil se coucher. Il ne me restait que quelques kilomètres à faire. Ne pas être arrivé au camp commençait à m’inquiéter quelque peu, mais je m’étais fixé un objectif et je ne pouvais pas y renoncer.
Enfin à la rivière, une fois arrêté, je dus me rendre à l’évidence. Je serais seul toute la nuit. Je me préparai un diner rapide, purée et saumon. Des gens avaient signalé des ours dans les environs, et je me dépêchais d’aller ensuite suspendre ma nourriture dans un arbre, bien à distance du camp, en me disant que je n’étais pas très malin de manger du saumon en terre d’ours, juste avant de dormir.
J’avais aussi lu les commentaires des gens qui s’étaient baignés dans la rivière. Cela me rappelait le roman wild. Je me sentis obligé de vivre l’expérience à mon tour. Je m’approchais du bord de l’eau, à la lumière de ma lampe frontale au milieu de l’obscurité silencieuse.
Je me mis nu et puis je mis un pied, puis un autre, dans le ruisseau. L’eau était glaciale. Je voulais vivre la vraie aventure du PCT, avoir des moments romanesques alors je m’immergeai quand même rapidement jusqu’au cou; je restais quelques secondes, en me frottant énergiquement pour nettoyer la sueur du jour, et puis jugeant que l’expérience était suffisante, et je ressortis aussi vite. En me séchant, je chantai « puma, puma ne me mange pas”. Je ne m’étais jamais senti aussi seul ni aussi vulnérable.
Le lendemain, je pensais arriver aux sources chaudes et retrouver les autres qui devaient y passer la journée. Je mis mon réveil à 4h, et je m’endormis aussi sec. En me réveillant seulement avec une heure de retard, je me sentis comme en retard au travail. J’étais pressé de revoir les autres, de leur prouver que j’étais le plus rapide, de me prouver que j’étais fort, et curieux de voir les sources chaudes. Le paysage de ce matin m’était devenu habituel, moins spectaculaire, me laissant marcher rapidement. Au panneau des 300 miles, j’ai revu Orion, croisé la veille au soir. Il était parti une semaine après moi et avait marché beaucoup plus vite. Je me suis dit que c’était encore une personne que je verrais seulement une fois. Par chance je me trompais. Le temps s’accélérait ; seuls quelques jours avaient été nécessaires pour parcourir ces cent derniers miles.
Un peu plus loin, je retrouvai, à la seule source disponible, le groupe de Thomas, et avec lui des connaissances de San Diego et Brady, qui les avaient rejoints. Ils formaient désormais un groupe d’une quinzaine de personnes, ce qui me semblait beaucoup trop de monde pour une personne un peu sauvage comme moi, sans compter la logistique de trouver des lieux de campements communs pour un si grand groupe.
Brady me dit de faire attention et il me montra une plante qu’il désigna comme du « Poison Oak », du sumac grimpant. Ces végétaux, dont l’aspect est à mi-chemin entre la liane et un jeune arbre gracile, ont sur leurs feuilles une substance toxique, qui ne se contente pas de gratter mais provoque une brulure intense et un décollement de la peau, qui peuvent mettre plusieurs jours à cicatriser. On les trouve surtout près des sources d’eau.
Je me pressai d’arriver aux sources chaudes, cependant une fois là-bas, ce fut la douche froide : un autre marcheur, Burglar, rencontré le premier jour, me dit que les autres étaient partis deux heures auparavant, après être resté une heure ou deux.
Commença alors un dilemme pour moi. Rester ou partir, profiter des sources chaudes comme je l’avais prévu, ou rattraper les autres ; J’étais vexé : pourquoi me dépêcher de rattraper une bande d’ingrats, incapable de rester quelques heures comme convenu afin que je les rattrape.
J’allais profiter des sources chaudes.
Je m’immergeais dans l’eau, alternant entre les bassines d’eau chaude naturelle, et la rivière glacée. Je comptais bien ne pas laisser la déception me gâcher mon plaisir. Les sources chaudes étaient pleines de hippies nus venus pour la journée des collines environnantes.
Pourtant plus le temps passait, plus mon hésitation grandissait, jusqu’à ce que je réalise que je ne restais plus que par esprit de contrariété : je n’ai jamais été le genre de personne qui aiment lézarder sur le bord d’une piscine, et j’avais vu tout ce que je pouvais voir ici.
Je me décidais donc de repartir à la poursuite des autres vers seize heure. Sur le bord de la piste, je vis un couple faire l’amour juste et l’homme prenant la femme me fit un coucou enthousiaste de la main. Gênant.
L’après-midi était déjà bien avancée, et la seule difficulté résidait dans le fait qu’il fallait faire au moins huit kilomètres pour pouvoir camper, le chemin étant seulement une fine bande à flanc de falaise, sans terrain plat pour planter une tente ou même mettre un matelas et dormir à la belle étoile. Je fis ces kilomètres le plus vite possible. A nouveau je captai un peu de signal, ce qui me permit d’apprendre que les autres camperaient à seulement cinq kilomètres de là où j’avais prévu de m’arrêter.
J’étais maintenant dans une grande plaine, que le vent balayait, marchant seul à nouveau. Je vis sur la piste un M&M’s, et n’ayant pas tiré de leçon de l’incident de Big Bear, je le mangeai. Le soleil déclinait rapidement. J’hésitais à marcher un peu dans la nuit pour rattraper mes amis, mon corps n’étant pas particulièrement fatigué après une après-midi de baignade. Je fus retenu par des commentaires sur l’application Far Out décrivant une piste était mal entretenue, envahie par du sumac grimpant. J’ai donc été soulagé quand j’ai vu un emplacement de campement, légèrement protégé sur le bord de la piste. Je montais ma tente, avec un peu de difficulté, car le vent soufflait assez fort, mais je pariais qu’il tomberait à la nuit, comme d’habitude.
Ce qui fut une erreur. Cette nuit reste la troisième pire que j’ai passé sur le PCT.
Après la tombée de la nuit, le vent s’intensifia. Il ramenait de la plaine des nuages de poussière qui s’infiltraient par la moustiquaire de la tente, et se déposaient sur moi. A plusieurs reprises, je dus sortir de la tente car mes sardines s’arrachaient du sol sableux et même les pierres ne suffisaient pas à lester ma tente. La poussière et le sable s’infiltraient de plus en plus, asséchant ma bouche. Je dormis par tranche de vingt minutes, et après que le vent se fut intensifié vers deux heures du matin, plus du tout.
La situation se calma enfin vers cinq heures du matin, et je sombrais pour une heure, couvert d’une épaisse couche de poussière fine. En me réveillant j’avais la nausée, la bouche pâteuse. Impossible de manger alors je rangeai ma tente et je me décidai à partir. Après avoir marché un kilomètre ou deux je me sentis mieux. Encore une fois, le chocolat chaud avait sauvé le début de journée.
La vue était en plus très belle ce jour-là. Il y’a environ quarante-cinq kilomètres avant Cajon Pass, célèbre pour son Mac Donald d’où un défi traditionnel du PCT est d’y emporter suffisamment pour tenir une journée. Je comptais retrouver les autres et que nous nous arrêtions dix kilomètres avant Cajon Pass pour y être le plus tôt le lendemain.
J’ai atteint un lac-réservoir. Je contactais les autres, mais ils étaient loin devant : convaincus par Burglar ils allaient pousser jusqu’à Cajon Pass.
A nouveau, j’étais découragé. Je ne pouvais pas aller si loin.
Je descendis sur la plage et je me préparais des nouilles chinoises. Une famille avec trois jeunes enfants me rejoint. Les enfants se mirent nus et allèrent jouer dans l’eau. L’eau était transparente, la journée belle et ensoilleillée. Si j’avais été malin, j’aurais profité du moment en restant là à me baigner, attendre Idaho. Je pris quelques photos en faisant des efforts pour que les enfants qui couraient partout ne fussent pas dessus. Je dis quelques mots aux parents, qui avaient l’air assez sympa. Ils étaient partis tout début mars et voulaient aller aussi loin que leurs enfants leur permettraient. Ce jour-là j’avais croisé 4 serpents. Avoir des enfants ici me paraissait dangereux mais finalement, c’était sans doute à eux de juger. J’envoyai un message à Idaho pour savoir si je devais l’attendre mais il me répondit qu’il avait commencé à se sentir mal, il avait eu de la fièvre, il etait loin derrière. Il ne me rejoindrait pas ce soir.
Je réfléchis. Il restait 20 kilomètres pour arriver en ville. Il était un peu moins de 14H ; Je pouvais rester ici sur cette plage paradisiaque à m’ennuyer et à bouder à nouveau, ou me remettre en route maintenant, et arriver un peu avant 20H. Je me sentais en pleine forme. C’est alors que je reçus une nouvelle de France : un ami très cher avait commencé un covid assez sévère, il avait eu une phase de confusion. Je décidais de presser le pas, je voulais être dans une ville si son état devait se dégrader. Après une montée de 400m environ, le reste de la journée devrait être majoritairement en descente. J’étais stressé d’être loin, mais après avoir pris des nouvelles, je passai mon téléphone en mode avion, et je me mis à marcher rapidement. Il n’y avait rien que je puisse faire avant d’être en ville. J’allais tout donner.
J’essayais de profiter quand même de l’après-midi. Le chemin était si beau ce jour-là. Sur le bord de la piste, des milliers de plantes orange et rouges traçaient le chemin étroit. Je cavalai. Je pris de l’eau a dix kilomètres de la ville, mais le moins possible pour être le plus léger. Je n’avais donc plus l’option de m’arrêter car je n’en aurais pas assez pour bivouaquer.
Ce soir je dormirai dans un lit. J’allais manger mon Mac Donald. J’étais très rapide, mais alors que j’arrivai à la distance parcourue d’un marathon, je ne me sentais toujours pas fatigué. Juste le frottement lié à la transpiration commençais à me bruler.
Un ou deux kilomètres plus tard, au tournant d’un chemin, la vallée se découvrit. On y entendait les longs klaxons des camions sur l’autoroute. Toute l’après-midi, il s’étaient rapprochés. Devant moi, on aurait dit que la terre avait été plissée en une succession de collines qui descendent jusqu’à l’autoroute, et s’étalent jusqu’à la route. Je repense à la vidéo de Elina Osborne, et j’avais l’impression d’être dans un de ces instants créés par un photographe, plus beau que la réalité.
Je cours dans la dernière descente, et puis je m’arrête, je me remplis du paysage et je courus à nouveau. J’étais presque en bas. Plus que 500m. J’étais à la route. Je l’avais fait. Un marathon pour manger un Macdonald.
Et en commandant deux menus et deux desserts, je me dis que c’est le fast food que j’avais le plus mérité de ma vie. J’emportai un petit sac de papier avec le reste de ma nourriture, et je commandai un transport pour rejoindre le motel. Les frottements de mon entrejambe me brulaient douloureusement alors mon premier soin fut de me laver, et sécher les brulures de mon entrejambe. Je pouvais profiter d’une chambre pour moi tout seul. On frappa à la porte : c’etait Kiki. Je fut presque choqué de la retrouver. Je crois qu’elle m’avait vraiment manqué. Je me douchai puis j’allais rejoindre les autres. Ils sont déjà propres, fatigués eux aussi d’une longue journée.
J’étais heureux et rassasié. J’avais réussi. Heureusement, mon ami en France n’allait pas plus mal, il me conseilla de poursuivre mon chemin.
Ce soir-là je pris une photo de moi. J’avais déjà perdu pas mal de poids. Le trail m’avait déjà changé. Toujours aussi têtu, toujours un peu stupide, mais déjà plus fort, plus résistant.
En pratique :
Aux sources chaudes, pas mal de touristes, et surtout beaucoup de rongeurs donc surveillez vos affaires/nourriture. Possibilité de restaurant environ 10km après les sources chaudes.
Aucune difficulté sur cette section, l’eau est généralement répartie plutôt uniformément sauf sur les 20 derniers kilomètres.
Cajon Pass n’est pas du tout une ville, plus une station d’autoroute mais elle a donc un McD et au moins 2 motels assez bienveillants pour les Hikers, de l’autre coté de l’autoroute. Autour de Cajon Pass, difficile de se planter sa tente mais au moins deux emplacements pas trop loin.
Le lendemain en revanche, peu d’eau, mais cela vous le verrez dans la section suivante (Ici)