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100 Miles (160,934km)

Après une journée complète de repos, nous sommes prêts à repartir. Enfin tous sauf moi : Un colis que j’attendais n’est pas arrivé. Objectif du jour : une cache d’eau, seul point de ravitaillement possible pendant plus de 50km. Les autres partent d’abord pour éviter la chaleur qui s’annonce. Pour repartir je refais du stop et un couple de retraités s’arrête pour nous récupérer, moi et un autre marcheur Ezéchiel, que j’ai déjà croisé plusieurs fois. Ils vont jusqu’à faire dix kilomètres de plus pour nous aider à rejoindre le chemin.

Aujourd’hui nous grimpons tout ce que nous avons descendu pour arriver à Julian. Je reçois un message sur ma balise GPS pour m’avertir qu’un serpent à sonnette agressif est sur le chemin. Je suis seul. C’est rassurant. Je me rends compte que seul, je prends plus le temps de faire des photos, des vidéos.

Le dénivelé est assez important, mais je suis confiant. Je pousse sur mes bâtons, j’ai atteint une vitesse de croisière et tout à coup je perds l’équilibre. Un de mes bâtons a cédé sous mon poids. Je regarde, et une des charnières est défaite.

Je m’arrête. Je suis perplexe et déçu. Je m’attendais à ce que mes bâtons cèdent, ils ont déjà fait la route jusqu’à Compostelle, et ceux en fibre de carbone sont réputés fragiles, mais pas au bout d’une semaine quand même. Cela fait déjà deux heures que je gravis la montagne. Les pensées se bousculent dans ma tête.

J’hésite à repartir en arrière. Ce serait le plus prudent.  Mais les marcheurs détestent rebrousser chemin. Il fait beau, il ne devrait plus pleuvoir. Sans mes bâtons, je ne peux pas monter ma tente mais je vais sans doute pouvoir dormir à la belle étoile. C’est un peu angoissant. Mais demain déjà je passerais par une route. Au pire je pourrais aller en acheter. Ainsi, je ne perdrais pas mes amis. Au pire du pire, si une tempête débutait, il y’aurait bien une bonne âme pour m’abriter, nous sommes nombreux avec des tentes deux personnes en utilisation personnelle. Ces raisonnements paraissent faciles, mais j’ai beaucoup d’hésitation avant de repartir. Je me rappelle que j’ai été scout. Je bricole le bâton en coinçant un bout de bois à la place de la charnière et, finalement, je repars.

Je suis seul, avec mon bâton fragile sous mon poids. Sable, collines, au loin dans la vallée une route bien droite pendant que je tourne le long des crêtes. Tout à coup, je pousse un cri de joie. Devant moi se trouve le petit dinosaure le plus mignon du monde. Je lui demande « What are you ? »

Il s’agit d’un lézard à corne. Je l’interprète comme une récompense pour ma persévérance. La pensée magique vient facilement aux marcheurs. Finalement vers 18h je rejoins les autres. Juste avant d’arriver, ma charnière maison se casse.

Il n’y a pas de source d’eau avant demain, mais une cache d’eau bien remplie, un peu à l’écart du camps. Je prends juste les 3L dont je pense avoir besoin pour diner, petit déjeuner et une matinée.  

Puis nous mangeons tous ensemble, les 4 garçons et 5 autres marcheurs avec qui nous avions passé du temps à Julian : Kiki, Brady, Melvin, Kelsey et Janick. Après le repas, nous faisons une séance d’étirements collectifs. Et puis c’est l’heure de dormir.

Je suis le seul à ne pas monter ma tente. Je mets mon tapis de sol, mon matelas, mon duvet et c’est tout.

La nuit tombe rapidement. Mon bivouac est au milieu des tentes des autres, mais elles me paraissent loin maintenant. Je dresse la liste des animaux qui peuvent venir se lover dans mon duvet. Araignées ; scorpions ; serpents à sonnettes ; puma ; ours. Comme souvent, je me dis qu’au moins, ma mort sera chouette. Tué par un ours, ce n’est pas écrit sur toutes les tombes. Et puis je m’endors.

Je me réveille au milieu de la nuit, plusieurs fois. Toujours pas mort.  Les étoiles au-dessus de moi sont magnifiques. Tout est tranquille. Je ne peux toujours pas dormir entre quatre et cinq heures du matin mais j’écoute le silence. Je commence à avoir froid. La nuit est claire, mais alors que nous sommes au milieu du désert, il y’a énormément de condensation qui mouille le duvet, rendant l’isolation inefficace. Il fait 4 ou 5 degrés dehors. Et puis le jour vient. Je suis long à partir, après une nuit fatigante.

Après avoir grimpé hier toute la journée, aujourd’hui nous sommes en descente pour une grande partie de la matinée, et à un moment, nous passons le marqueur des 100 miles. Plus que 25 fois cela à faire, et je serais au Canada. Je crois que j’en suis capable. Alors que je suis en train de prendre des photos avec Janick et Melvin, un marcheur nous dépasse sans s’arrêter. C’est Thomas, un Belge. Visiblement il n’est pas impressionné.

Enfin nous atteignons la route, ou nous pouvons avoir un transport pour Montezuma Market. Il y’a aussi une source d’eau, une sorte d’abreuvoir pour chevaux, avec une eau claire.

Montezuma Market est une petite épicerie, très bien achalandée pour les marcheurs du PCT. Je trouve du bœuf séché mais aussi de la viande de chameau et d’alligator que j’achète. Je vois un tube de pate de Smarties et je me dis que ça va être du chocolat, mais en fait il s’agit d’une pate rouge de sucre : aux états unis, les Smarties sont des bonbons.

Je bricole mon bâton de marche, et avec une de mes sardines, j’arrive à rattraper la charnière qui avait été tirée dans un des tubes de carbone, et je peux la fixer de l’autre côté. Mon bâton est réparé. Cela m’évite d’avoir à en racheter car même s’il y’a du bon matériel, il n’y a pas le modèle que je veux.

En pratique :

Seulement une cache d’eau sur la route, pas de source : verifier l’approvisionnement avant de partir, ou prévoir en conséquence.

Montezuma Market vous récupère sur appel téléphonique, et vous ramène au PCT (tel : 619 693 7536). Possibilité de loger dans un “Resort” à proximité, Mountain Valley Retreat, de bonne réputation.