Assaut sur Jacinto II
III La descente
Vers le milieu de l'après-midi, nous passons sur la face nord de la montagne, complètement enneigée et nous sommes à la dernière source d'eau pour les prochains trente kilomètres. Il faut déjà réussir à passer une rivière partiellement gelée, et ensuite se charger de 5L d’eau, ce qui fait une grosse différence sur le confort du sac à dos.
Un jeune de 18 ans, Liam, nous dépasse à vive allure. Il fait une moyenne de 40km par jour depuis le début de son périple, et je sais que je ne pourrais jamais tenir ce rythme. Il discute longuement avec Nick, qui est impressionné par sa détermination et son endurance. Je dois admettre que je ne serais pas le plus rapide sur ce chemin, mais je me rappelle pourquoi je suis là, j’ai mes propres défis.
La fin de l’après-midi est déjà une épreuve. Les dix derniers kilomètres, un véritable calvaire ; la traversée d’un grand champ de neige. Mon corps est abattu, mon esprit est las, je veux juste arriver au camp. Les pieds glissent dans la neige, je tombe plusieurs fois. A un moment, nous devons passer quelques mètres de neige au bord d’un ravin. Je me dis que c’est comme ça que les gens meurent, ils glissent alors qu’ils sont épuisés et incapables de lutter.
Je me force à remettre mes micro-crampons, même s’ils sont presque inefficaces dans la neige molle qui s’agglutine sous nos talons. Je tombe, je glisse, je parviens à me stopper. Je vais de plus en plus lentement, il me faut près de deux heures pour faire cinq kilomètres.
Il y’a peu d’abris possibles pour monter sa tente. Dormir à la belle étoile ne fait pas de grosse différence en termes de température, tant que l’air est sec. Une tente permet à peine de gagner quelques degrés par rapport à l’extérieur, en isolant du vent et en protégeant un peu de l’humidité. Elle permet surtout de créer l’illusion d’un espace personnel et ce soir je suis fatigué, de mauvaise humeur ; j’en ai besoin.
Nous mangeons tous collés les uns aux autres sur des tables en bois. Je ressens le froid au plus profond de mon être. Je force la nourriture, trop fatigué pour avoir faim. Je me fais un chocolat chaud. Déjà cela va un peu mieux. Je monte ma tente. Je mets des pierres pour bloquer mes sardines. Il fait si froid, je ne veux pas avoir à sortir pour tendre ma tente si le vent la décolle. Je suis tellement exténué que je pense avoir du mal à trouver le sommeil. Comme d’habitude, cinq minutes suffisent pour que je sombre.
Kiki n’est pas arrivée jusqu’au camps ce soir, et nous sommes tous un peu inquiet de la savoir si loin.
Le lendemain, nous descendons 2000m, en une seule fois. J’espère que mes genoux tiendront. Je fais attention à ma position, j’essaye de jouer sur les muscles plus que sur les articulations, mais vouloir contrôler sa position toute une journée est illusoire.
La nuit m’a soigné, je suis prêt à affronter la journée. La descente est belle. Le paysage de montagne, les grandes prairies sur les collines, et en bas, le désert. Le vent s’intensifie : cette langue de désert est en fait un grand champs d’éoliennes. Je comprends pourquoi. Plus nous descendons, plus le vent s’intensifie. A un virage sur la piste, il décolle ma casquette.
Je rattrape les autres. Janick, Kelsey, puis Idaho, Nick. Nous marchons un peu avec Idaho et Evan, Kim et Roxy et nous joignons leur conversation absurde.
« Est-ce qu’il est plus moral de tuer un humain ou le dernier Rhinoceros ? Si c’est pour sauver une espèce, il est plus moral de tuer un humain ». « Oui mais si l’humain est Gaspard ? » demande Idaho. Interpellé, je réponds que si c’est pour sauver une espèce, j’autorise Evan à me tuer, ou je peux commettre un suicide afin de lui éviter d’avoir à me tuer, mais que s’il ne reste qu’un seul mâle, l’espèce est de toute façon condamnée par son appauvrissement génétique, aussi cela doit être pris en compte. Et ainsi de suite.
Les autres s’arrêtent pour déjeuner. Selon mon calcul, nous serons au point d’eau vers 14H, je préfère garder mes muscles échauffés, tenir avec des snacks et continuer ma descente. Parti dernier ce matin, je suis désormais en tête. En me filmant, je me prends une bonne gamelle. C’est dommage les autres n’ont pas pu en profiter.
Enfin arrivé au robinet d’eau, tout en bas de la montagne. Jacinto c’est fini, et nous sommes toujours en vie. Plus rien ne peux se mettre en travers de notre route. A part peut-être, Eole.
Nous avions prévu de camper ici, mais le vent est hors de contrôle, soulevant des nuages de poussières sur le sable du désert, et les buissons au ras du sol ne permettent pas d’avoir de protection. Il sera impossible de monter nos tentes ici. Nous regardons la météo. Il y’a une alerte pour une tempête de vent, avec des bourrasques à plus de cent kilomètre par heure.
Nous n’avons pas d’autre choix que de faire les sept kilomètres qui nous sépare d’un pont sous une autoroute, seule protection possible dans ces conditions. Nous décidons d’aller dormir là-bas.
La traversée de la plaine qui suit est un épisode dantesque. Les tourbillons de vents cinglent notre visage et nous ne pouvons ouvrir les yeux que par intermittence. Nous avançons à l’aveugle, contre le vent qui nous pousse, nous et nos sac à dos, la poussière et le sable qui nous griffe le visage.
Le pont nous offre un peu de répit. Des anges du chemin ont apporté des glacières pleines de boissons et de snacks. Le romantisme de la vie de vagabond perd cependant vite de sa superbe. Même protégé, le vacarme assourdissant de l'autoroute qui rugit au-dessus de nos têtes et le sol jonché de verre pilé ne font qu'ajouter à notre malaise.
Nous hésitons à rester, mais la tempête qui promet de durer toute la journée de demain nous laisse peu d'options. Au moins nous avons accès à internet. Je regarde ; si nous allons dans la ville d’à côté, Banning, nous pouvons avoir un logement pour 25 dollars par personne. Les autres ne sont pas durs à convaincre. Deux nuits de plus en motel, mais après ces quatre jours, nous le méritons.
La descente
En pratique :
Notre San Jacinto n’a pas été dangereux, mais il peut l’être. Ne sous estimez pas la montagne. Certaines pentes sont abruptes. Surveillez Sanjacjon régulièrement et soyez près à devoir changer vos plans : sur les périodes du PCT, la neige peut tomber drue d’un jour à l’autre. Je ne suis pas un grand fan d’empêcher les gens de faire quelque chose, je dis juste que les risques sont rééls. Allez y en groupe. Et ce sera une des premières vraies émotions du trail.
Sur les 30 kilomètres initiaux, peu d’eau disponible, mais là encore les conditions peuvent changer du tout au tout, je conseille donc de vérifier au moment de votre arrivée sur Farout. Ne comptez pas trop sur faire fondre de la neige pour avoir de l’eau; c’est plus une solution de secours. Les sources sures sont cedar spring (15km) Apache Spring (18km) Tahquitz Creek 30km, puis à la base de la jonction avec le San Jacinto Peak Trail 40km puis North Fork San Jacinto River 50km, dernière source sure avant le Water Faucet, le robinet, tout en bas de la montagne à 90km environ.
Le refuge près du sommet n’est pas vraiment fait pour dormir, il y’a régulièrement du vent sur Jacinto donc trouver un abri est capital.
Ne paniquez pas non plus, vous allez y arriver en étant prudents.