La Fabrique de l’Œuvre
Je sors de l’exposition Marcel Proust, la Fabrique de l’Œuvre. Quel rapport avec la randonnée ? Eh bien, pendant le PCT, j’ai écouté l’intégralité de la recherche du temps perdu en livre audio, que je recommande. En flânant dans l’exposition, alors que je relisais des passages de l’œuvre, j’ai été étonné de voir avec quelle précisions certaines phrases s’étaient entrelacées dans mon esprit à des paysages, des moments bien précis. Peut-on rêver expérience plus proustienne ?
Le début du premier livre à mon départ de Echo Lake, les amours de Swan en descendant une vallée escarpée, j’ai pleuré la mort de la grand-mère en filtrant l’eau d’une source, j’ai ri de la colère de Charlus en mangeant un kouignamann (dont l’étiquette précisait prononcez Queen – Aman) après avoir quitté Etna, l’épisode de l’éventail de la reine de Naples en me gavant de myrtille.
J’espère que cette association gardera pour moi son originalité, le salon de la marquise de Villeparisis et les milliers de fleurs dans la poussière du chemin, les déshabillés de soie et mes vêtements trempés de sueur, la saveur des myrtilles et les diners chez la duchesse de Guermantes.
Le moment le plus magique et le plus triste reste la fin du temps retrouvé : je l’avais gardé pour le finir le jour de mon arrivée au Canada, mais quand ce projet est tombé à l’eau, et que je suis reparti marcher en Oregon, j’ai fini par me résigner et lancer la dernière lecture.
Comme quand j’avais commencé le premier livre, je me retrouvais seul, loin de mes amis, et je devais accepter que ma marche triomphale se finissait, que pour moi aussi le temps des plaisirs innocents était terminé.
Le soleil était en train de se coucher, les températures s’étaient déjà refroidies. Je voulais rejoindre le sommet, ou semblait-il, un lieu de bivouac merveilleux était possible.
Dans mes oreilles, les derniers mots retentissent, et je m’arrête pour voir le soleil illuminer les sommets en face de moi. Tout est fini, et je ne le sais pas encore.
En même temps que ce livre, se ferme une partie de mon livre, celle de l’aventure pleine de lendemains. Je savais que la marche finirait un jour, mais cette échéance était lointaine, le chemin infini. Tout m’abandonne, mais pour un instant encore, je suis là où je dois être, seul, perdu dans une montagne. Proust m’a aidé à supporter les douleurs quotidiennes de mon épaule, il m’a ému, agacé et fais rire aux éclats quand j’étais seul et que j’avais le mal du pays. A sa façon lui aussi vient de me dire qu’il est temps de rentrer.
Exposition la fabrique de l’oeuvre, terminée à la BNF
La recherche du temps perdu, Marcel Proust en livre audio, édition Thelem